Atelier 10 février

C'est là !

L’adoption de telles mesures étaient urgentes. D’une urgence relative mais d’une urgence quand même. Le mur de façade de la maison se lézardait et la fissure en était presque à atteindre le premier étage. Un simple regard au travers de la fente dans le salon et on pouvait voir les coquelicots du champ d’en face. On fit venir un maçon qui resta dubitatif devant l’ampleur du boulot, ce qui ne nous rassura pas. Il décida de boucher la fissure côté salon et non pas côté extérieur. On trouva ça plutôt absurde et surtout très intrusif, car dans le salon on y était en permanence. Rien n’y fit. Il déposa le lendemain des sacs de ciment sur le parquet et toute une forêt de matériels divers dont une bétonneuse. Dominique, le geek de la famille, se renseigna pour savoir s’il n’y avait pas une autre méthode pour réparer notre problème. Evidemment il n’a rien trouvé. Ginette la reine des emplettes alla chercher de quoi nous sustenter le temps des travaux. Quant à Quentin notre ami l’arlequin il préféra rejoindre ses amis dans son costume bariolé car il devait répéter une pièce sur un chantier, pièce dont le sujet était le traumatisme subit par des propriétaires de maisons qui devaient se battre pour obtenir réparation d’un préjudice suite à des malfaçons engendrées par une entreprise de maçonnerie. En fait il s’agissait de notre histoire mais on ne le savait pas encore.

Nous voilà perdu dans cette forêt. Mes frères ne le savent pas encore mais j’ai rusé. Les petits cailloux blancs vont nous aider à rentrer à la maison. Je suis fier de mon idée. Ils sont tous là à pleurer, à se lamenter, à accuser le mauvais sort comme s’ils n’avaient pas compris que notre père était responsable de notre situation. Ils sont trop bêtes. Heureusement que je pense pour eux. Pour une fois ils vont être contents de moi. Je leur dit :
-          Ne vous inquiétez pas. Je sais comment revenir à la maison.
Evidemment personne ne m’écoute. Rien d’étonnant, ils ne m’écoutent jamais. Je force sur ma voix toute fluette, en leur disant :
-          - J’ai semé des cailloux, il suffit de les suivre et on retrouvera notre chemin.
Mon frère ainé se tourne vers moi en grimaçant :
-          - Qu’est-ce que tu racontes ? Quels cailloux ? Des cailloux il y en a partout. Tu te crois plus malin peut-être ? Toi le petit, tout petit, qui a déjà du mal à nous suivre. Alors tait-toi et laisse-moi réfléchir.
J’ai voulu leur montrer que j’avais raison en ramassant le dernier caillou blanc que j’ai laissé tomber. Mais ils ne me regardent pas. Je me dis que si je disparaissais ils ne s’en apercevraient même pas. Je les regarde tourner en rond dans cette clairière, à pleurer la tête dans les mains et je me dis que j’en ai marre d’être humilié, d’être rabaissé quoique je fasse, quoique je dise. Pourquoi ne reconnaissent-ils pas que je suis le plus intelligent ? C’est bien moi qui ai pensé à baliser le chemin du retour. D’ailleurs baliser ils ne savent même pas ce que ça veut dire. Ils sont aussi bêtes que notre père.
Soudain j’aperçois sur une branche basse un écureuil roux, tout petit lui aussi. Il me fait un clin d’œil et je l’entends me dire :
-          - Viens petit Poucet, suis-moi. Tu n’as plus rien à faire avec tes frères. Je vais te présenter à quelqu’un.
Un écureuil me parle et je n’en éprouve aucune surprise. Je jette un dernier coup d’œil à mes frères et sans regret je me détourne. L’écureuil sautille de branches en branches et j’ai parfois du mal à le suivre, mais même si je le perds de vue, toujours il revient me chercher. Je lui pose plein de questions mais il ne me répond pas. Le trajet est long et il va faire bientôt nuit. Soudain je débouche dans une grande clairière couverte d’herbes soyeuses avec un rocher en son milieu. L’écureuil y est installé à attendre que je m’approche. Il me dit :
-          - Ferme les yeux et attend qu’on te dise de les rouvrir.
Je regarde autour de moi. J’ai un peu peur. Et si c’était le grand méchant loup que je devais rencontrer ? Il a l’air gentil cet écureuil mais c’est peut-être pour mieux abuser de moi. Je serais ainsi la proie de ce méchant loup, celui dont tout le monde parle, même si je ne suis qu’une petite bouchée pour lui.
Néanmoins qu’est-ce qui pourrait être pire ? Mourir de faim dans cette forêt ? Autant en finir maintenant si tel est mon sort. L’écureuil est toujours là sur le rocher. Il me refait un clin d’œil certainement pour me mettre en confiance. Je ferme les yeux et j’attends. Pas longtemps. Une douce voix de femme résonne :
-          - Tu peux ouvrir les yeux maintenant.
Quelle surprise ! Sur le rocher, nimbée d’une lumière blanche se tient une fée avec de longs cheveux roux et une robe de mousseline qui flotte dans la brise du soir.
-          - Bonjour petit Poucet. Je suis la fée Mélusine. J’ai assisté à votre malheur, à toi et tes frères. Mais surtout au tien, pauvre petit incompris, si maltraité par tes frères. A te voir ainsi, j’ai eu pitié de toi. Si tu le souhaite je suis prête à exhausser tes vœux et ainsi te rendre la vie meilleure.
Je n’en crois pas mes yeux et mes oreilles. Je connaissais la légende de la fée mais à la voir en vrai, je suis trop bouleversé pour pouvoir lui répondre. Ma voix reste coincée dans ma gorge.
-          - Alors, qu’en dis-tu pauvre petit Poucet ?
-          - Je ne sais pas, je ne sais plus, je suis perdu. Dans la forêt et dans ma tête.
-          - N’as-tu pas un souhait particulier ?
Je réfléchis très vite et dis :
-          - J’aimerais être grand, et puis j’ai très faim et très froid.
-          - Autre chose ?
-          - Je souhaiterai retrouver tout de suite ma maison et que mes parents disparaissent car ils sont très méchants.
-          - Brave petit Poucet. J’exhausse tes vœux sur l’heure.
C’est ainsi que, couvert d’une belle fourrure, j’ai mangé mes parents car désormais c’est moi le grand méchant loup.